L’écriture à la lettre: usages épigraphiques et réflexion littéraire en milieu bouddhiste thaï (XIVe-XVIIe siècles)

Lagirarde François, Kourilsky Gregory et Schnake Javier

 

L’épigraphie est une pratique culturelle qui peut être envisagée au moyen de plusieurs outils (paléographie, statistiques, indexation, cartographie, etc.) employés essentiellement à des fins d’ordre linguistique, philologique ou historique. Pourtant, l’épigraphie peut également être observée à l’aune du fait épigraphique lui-même. À cet égard, Ramsay MacMullen emploie l’expression d’« usage épigraphique » (epigraphic habit) pour désigner la décision d’inscrire un texte dans la pierre (ou sur le métal). Cette expression, qui concerne à l’origine les études latines, fut par la suite reprise par des spécialistes d’autres ères culturelles (hellénistes, indologues) qui s’interrogèrent à leur tour sur cette pratique, questionnant l’utilisation implicite des lettres inscrites davantage que sur le message explicite qu’elles véhiculent – ou, plus exactement, la relation existant entre le message et sa manifestation matérielle.

À partir de l’étude d’un choix d’inscriptions et de données historiques diverses de Thaïlande, du Laos et de certaines régions de la Birmanie, le projet « L’écriture à la lettre » cherche à saisir les usages épigraphiques des T(h)aïs. Son ambition est de proposer une nouvelle lecture des inscriptions, de leurs supports et de leur environnement susceptible de nous faire retrouver le sens « matériel » et la fonction sociale de l’usage épigraphique dans les anciens royaumes bouddhistes thaïs, et plus largement en Asie du Sud-Est.

Les intentions qui sous-tendent les textes lapidaires thaïs s’avèrent multiples, comme le montrent les nombreux et différents types d’écrits consignés à travers les siècles sur toute une variété de supports. Gravés dans la pierre afin de leur assurer une certaine durabilité, les épigraphes thaïs sont généralement inscrits sur des stèles ou des édifices disposés (ou « exposés ») sur ou à proximité de monuments plus imposants.

Leur message avait donc vocation à être durable, public et non confidentiel. D’un autre côté, les inscriptions contiennent une série d’éléments de toute évidence destinés à ne pas être entendus par les hommes du peuple, tels que des données astronomiques complexes ou des énoncés bouddhiques ésotériques que seuls les moines les plus érudits étaient en mesure de déchiffrer.

L’usage épigraphique en milieu bouddhiste thaï recouvre ainsi une pluralité d’aspects dont certains ont partie liée avec le dessein, l’idéologie et la psychologie des acteurs impliqués. Si la raison d’être de l’épigraphie est de fixer ou de transmettre des éléments d’information (événement, message externe, narration), peut-elle aussi nous informer « en réflexivité » sur elle-même, sur les faits d’écriture, la littérature, le rapport au monde ?

Ce projet tente d’apporter des réponses à ces questions, et propose de prendre l’écriture « à la lettre » afin de déceler ce que l’épigraphie peut nous révéler à propos d’elle-même et ce qu’elle dévoile – ou, au contraire, ce qu’elle entend cacher – de sa fonction politique, religieuse, sociale et idéologique.

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