Ecritures exposées, écritures dans l’espace : la fabrique des espaces publics. Atelier N°2, 5 février 2021

Écritures exposées, écritures dans l’espace : la fabrique des espaces « publics ».

 

Comité d’organisation : Béatrice  Fraenkel (EHESS) et Catherine Saliou (Université Paris 8/EPHE), Gregory Chambon (EHESS), Vincent Debiais (EHESS), Natalia Muchnik (EHESS), François de Polignac (EPHE, PSL), Marc Smith (ENC/EPHE, PSL), E. Szurek (EHESS)

 

Compte tenu de la crise sanitaire, cette manifestation sera organisée sous la forme de quatre ateliers répartis dans l’année universitaire. Les modalités d’organisation des ateliers seront précisées en temps utile ainsi que le lieu s’ils peuvent être organisés en présentiel ou en hybride. Chaque communication, d’une durée de 20 mn, est suivie de l’intervention d’un.e discutant.e (20mn), puis d’une discussion générale.

Pour recevoir le lien pour vous connecter à la conférence, veuillez contacter Catherine Saliou (catherine.saliou@ephe.psl.eu).

Atelier n°2, 5 février 2021, 9h-12h.

Plurigraphies – écriture et monument

 

  1. Chloé Ragazzoli (Sorbonne Université) : Les graffiti de scribes ou quand le manuscrit s’expose.

L’Egypte ancienne est souvent perçue comme le monde d’une scripturalité par définition exposée. En effet, son script iconique, l’écriture hiéroglyphique, est par essence une écriture monumentale, sacrée et sacralisante. C’est aussi une écriture profondément plastique, qui investit l’espace, qu’il s’agisse de l’objet, du mur, de l’architecture. L’écriture hiéroglyphique est là : elle actualise les cadres éternels du monde, elle note la volonté du démiurge dont elle est la création continuée. Auteurs, lecteurs, spectateurs s’effacent pour la seule présence magique d’un texte qui se suffit à lui-même, souvent visible, rarement lisible. Mais les hiéroglyphes ne sont qu’un des scripts de l’écriture égyptienne, dont le spectre graphique est bien plus large, jusqu’aux écritures les plus cursives. Or, que se passe-t-il quand l’écriture cursive, le hiératique, une version égyptienne de « l’écriture manuelle » d’Armando Petrucci, apparaît sur les murs, et s’affiche dans le décorum monumental ? L’épigraphie secondaire – définie comme des inscriptions qui ne font pas partie de l’état originel d’un monument mais qui contribuent à le redéfinir – brouille les pistes entre ce qui relève de l’épigraphie et du manuscrit, des inscriptions et des belles lettres.

C’est ce qui se joue en particulier quand les scribes du Nouvel Empire (v. 1550-1075 av. J.-C.) laissent les témoignages de leur passage sous la forme de textes hiératiques au sein de la décoration des monuments funéraires qu’ils visitent : leur action dans et sur le monument passe par l’exposition de l’écriture manuscrite, qui convoque le monde social des scribes mais aussi leur mode d’action sur le monde, par l’écriture bureaucratique. L’écriture exposée se fait théâtre épigraphique mais elle transforme le monument de la première élite en un lieu social pour le second cercle, qui n’a pas les moyens de l’expression monumentale.

Ce cas-limite, qui fait se croiser le domaine du monument et du manuscrit, révèle la valeur sémiotique de l’écriture manuscrite exposée comprise comme signe graphique, indépendamment de son contenu linguistique. Cette approche permet d’explorer un concept essentiel pour comprendre l’agentivité d’une écriture exposée, en plus de son contexte d’apparition, celui du registre graphique, qui convoque un régime de scripturalité donné. On explorera ainsi dans un second temps d’autres cas égyptiens d’emploi du registre manuscrit en contexte monumental et leur signification.

 

Discutante : Charlotte Schmid (EFEO, EPHE-PSL).

 

  1. Matteo Ferrari (Université de Namur): Afficher le droit dans l’Italie communale : inscriptions à contenu juridique dans les palais publics aux XIIe-XIVe siècles.

Les pouvoirs gouvernant les communes italiennes sont les responsables, à partir de la fin du XIIe siècle, d’une augmentation exponentielle de la production d’actes écrits, qui intéresse également la documentation épigraphique. Les écritures exposées s’affichent ainsi dans différents endroits de la ville, notamment dans les bâtiments publics et dans les espaces liés à l’exercice du pouvoir municipal. Lieu de réunion et d’administration de la justice, ouverts au plus grand nombre, les palais publics deviennent un espace d’exposition pour des textes inscrits à contenu juridique que l’on appelle traditionnellement « chartes lapidaires ». Celles-ci sont parfois accompagnées d’images, en lien avec leur contenu. L’examen de la « charte lapidaire » peinte en 1292 à San Gimignano à l’occasion de l’arbitrage de Scolaio Ardinghelli ouvre des perspectives sur les fonctions et les modalités de productions de ces écrits, tout comme sur le rapport entre le texte épigraphique et l’antigraphe documentaire.

 

Discutant : Marc SMITH (ENC/EPHE, PSL)

 

  1. Emmanuel SZUREK (EHESS, Paris) : La romanisation des caractères dans le paysage urbain (Turquie, entre-deux-guerres). La Turquie change d’alphabet. Exitla lettre arabe, coranique, calligraphique, renvoyée à son archaïsme oriental. Bienvenue aux caractères latins, rebaptisés « turcs », signes, symboles et gages de civilisation. Pour éradiquer la graphie sémitique et inciter la population à accepter, apprendre et pratiquer le nouvel alphabet, le régime investit l’espace urbain. Trois idéaux-types se dégagent : la bourgade anatolienne, où l’on performe à répétition la scène austère et inaugurale du maître d’école (tableau noir, abécédaires et affichages didactiques) ; Istanbul, ci-devant impériale, restée le foyer de l’activité lettrée, et le point focal de l’offensive kémaliste (effacement des façades, descentes de police, féeries alphabétiques) ; Ankara la nouvelle capitale, où le régime joue à domicile et façonne le paysage, géométrique, à l’image de sa révolution culturelle. À partir d’un matériau essentiellement iconographique et photographique, on revisitera ces espaces d’exposition et de mise en représentation de l’écriture nouvelle à travers trois motifs : la question des disciplines (phénomènes de damnatio memoriae, scolarisation du rapport à l’écrit) ; celle de l’appropriation privée (stratégies commerciales et opportunisme publicitaire) ; celle, enfin, de l’articulation entre nouvelle écriture, architecture et urbanisme (en particulier dans l’Ankara en construction).

 

Discutant : Emmanuel Fureix (Université Paris-Est Créteil).

 

Ateliers n°3-4, 7 avril 2021

Statuts d’écritures et contrôle de l’écriture, événements d’écriture/de lecture

 

Matinée

 

  1. Stefano Riccioni (Université Ca’Foscari, Venise): Scritture esposte: spazio, paesaggio, ecologia. I casi di Roma e Venezia (secoli XI-XIII).

A partire dalla nozione di “scrittura esposta”, coniata da Armando Petrucci, l’intervento intende discutere alcune epigrafi “esposte” al pubblico, alla luce del complesso monumentale al quale appartengono, delle immagini che accompagnano e di altri prodotti grafici ai quali possono essere associate, nonché, infine, dello spazio nel quale si trovano. Verranno dapprima prese in considerazione le iscrizioni tramandate negli itinerari di viaggio nella Roma medievale (Mirabilia di Benedetto Canonico) che segnavano i luoghi sacri per i Cristiani (anche con pratiche di esaugurazione). Successivamente prenderemo in considerazione le iscrizioni presenti in Roma e Venezia tra i secoli XI e XIII, due realtà distinte per dinamiche storiche e sociali ma simili nelle modalità di esposizione e uso (riuso) delle iscrizioni. Verrano analizzate le caratteristiche interne (testo, paleografie e modalità di esposizione grafica) ed esterne (spazio, territorio e paesaggio) delle iscrizioni, confrontate con lo spazio di esposizione, all’interno e/o all’esterno degli edifici, sacri e laici, al fine di precisare lo status delle « scritture esposte », il loro rapporto con l’ambiente e di prendere in considerazione un’ecologia della scrittura.

 

Discutant : François de POLIGNAC (EPHE, PSL).

 

  1. Anne Béroujon(Université Grenobles Alpes) : À propos d’un placard disparu : les effets d’un appel à la révolte en 1529.

En avril 1529, dans un contexte de disette et d’afflux des pauvres en ville, un placard est affiché clandestinement en plusieurs endroits de la cité lyonnaise : il appelle à la révolte contre les usuriers qui stockent le blé pour spéculer au détriment du peuple affamé. Une semaine plus tard, se produit la plus grosse révolte qu’ait connue Lyon au 16esiècle, la « grande Rebeyne », qui débouche, quelques années plus tard, sur la réorganisation de l’aumône et du traitement de la pauvreté. Si le placard lui-même a été perdu, sa trace en est restée : le secrétaire de la ville l’a consigné dans les registres consulaires et les différents témoignages, ainsi que la sentence rendue contre son auteur et son imprimeur présumé, révèlent l’importance qu’il a pris, tant pour les acteurs de la révolte que pour ceux qui ont éteint le feu. Si l’épisode de la révolte de 1529 est largement traité par l’historiographie, le placard lui-même a été relativement peu étudié. Or ses effets se situent à plusieurs niveaux : effet immédiat d’une émotion débouchant sur le pillage et la rébellion, effets différés d’une écriture éphémère dont le caractère subversif est enregistré pour mémoire par les consuls. Que signifie le fait de recopier le texte du placard et d’en reprendre le dispositif visuel ? Quel impact a pu revêtir la lecture de cette écriture éphémère devenue, par le fait de son enregistrement, événement d’écriture ?

 

Discutant : Paul BERTRAND (Université catholique de Louvain).

 

  1. Ariane Mak (Université Paris Diderot): Murs en Guerre. Le Mass-Observation et les graffitis du Home Front britannique.

Quelles inscriptions murales, quels « actes d’écriture » dans les sociétés en guerre ? Comment ces graffitis s’insèrent-ils dans l’écologie urbaine des nations aux prises avec la Seconde Guerre mondiale ? Et que peuvent nous dire ces sources, longtemps restées indignes, de l’histoire des sociétés belligérantes ? À travers l’étude des graffitis du Home Front britannique, on propose de privilégier une histoire au ras des murs en guerre. Au-delà de l’emblématique « Kilroy was here » laissé par les soldats américains, les façades urbaines ont vu fleurir les écrits de contestation, les railleries moqueuses, les slogans patriotiques et les injures antisémites. Des « graffitis suspects » sont également rapportés : à l’été 1940, les écrits muraux se font codes d’espions ennemis aux yeux d’une population guettant tout signe d’une invasion ennemie. La communication propose d’étudier ces différentes formes d’écritures exposées à partir des enquêtes conduites par le Mass-Observation de 1938 à 1945, des fonds méconnus et qui ont jusqu’ici été très peu exploités. Ils permettent pourtant de croiser anthropologie de l’écrit, histoire sociale et culturelle de la guerre, et histoire des savoirs.

 

Discutant : Philippe ARTIERES (CNRS).

 

 

 

Après-midi

 

  1. Zoé Carle (Université Paris 8): La révolution comme événement d’écriture : scènes d’écriture, scènes de lectures.

Les crises révolutionnaires sont l’occasion d’intenses activités graphiques : les murs, les trottoirs, les rues des villes se couvrent de messages révolutionnaires au gré des rassemblements et des marches. La révolution égyptienne de janvier 2011 n’a pas fait exception à la règle et a donné lieu à un événement d’écriture majeur. Doit-on considérer ces actes d’écriture collectifs comme des rites révolutionnaires et quelles conséquences cela a-t-il sur la réception et l’interprétation des messages ?

 

Discutante : Béatrice FRAENKEL (EHESS, Paris).

 

  1. Laurent CuvelieR : Le maintien de l’ordre mural à Paris au XVIIIe siècle. Contrôler les écritures exposées et maîtriser l’espace public.

L’essor de l’affichage dans les grandes villes européennes au XVIIIe siècle est liée aux mutations de l’espace public de la consommation. Cette prolifération des affiches marque les paysages urbains, rend accessible un nouvel objet d’information, et attire l’attention des autorités. Si l’action des agents de la police parisienne a souvent été perçue au prisme de la lutte contre les « libelles incendiaires » et les « placards infâmes », il faut réinscrire cette surveillance des murs dans la perspective d’un maintien de l’ordre mural attentif à la demande d’information des citadins et soucieux de maintenir la visibilité des actes administratifs. À partir des différentes réformes du droit d’affiche, mais aussi à travers les pratiques et les savoirs policiers dédiés aux écritures exposées, nous verrons comment les autorités urbaines identifient des espaces à surveiller, des imprimés à protéger, et des éphémères à effacer.

 

Discutant : Frederic GRABER (CNRS).

 

 

  1. Ivan Guermeur (EPHE, PSL) : Les textes officiels égyptiens bilingues, trilingues et en trois écritures et leur affichage à l’époque hellénistique et romaine.

En Égypte ancienne, l’acte de pouvoir s’exprime d’abord de manière orale puis il est transposé sous une forme écrite à la fois normative et performative qui l’inscrit dans un processus de sacralisation propre à l’écriture hiéroglyphique et à son affichage. Longtemps cet acte a été exclusivement réservé au souverain qui émettait l’oudj-nesou, le « commandement/décret royal ». À partir du premier millénaire avant notre ère, cette prérogative est peu à peu accordée à certaines autorités constituées, notamment les clergés, qui émettent à leur tour des décrets, parfois eux aussi gravés dans la pierre. Après la conquête de l’Égypte par Alexandre le Grand en 332, un certain nombre de décrets sacerdotaux vont bénéficier d’un affichage tout à fait exceptionnel, sous la forme de textes bilingues (égyptien et grec) et en trois écritures (égyptien hiéroglyphique, égyptien démotique et grec), parfois avec des dimensions exceptionnelles, dans d’autres cas ceux-ci ont pris simplement la forme d’écritures secondaires surimposées à un texte rituel antérieur. À partir de divers exemples, nous verrons les stratégies que les rédacteurs de ces textes ont déployées pour leur assurer la meilleure publicité qu’il soit et une certaine pérennité.

 

Discutant : Vincent DEBIAIS (EHESS).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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